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27 ans. Cela faisait 27 ans que j'herborisais dans cette magnifique forêt thermophile. J'y faisais découverte sur découverte, notamment Tricholoma caligatum, Tricholoma chrysophyllum (en 2001, première récolte pour la France!), Lactarius pinastri et, dernièrement encore, une forme grise de Lyophyllum fumosum = L. conglobatum non encore décrite et particulièrement intéressante. Cette petite forêt recelait également de superbes Cortinarius praestans, des phellodon nombreux et même Amanita caesarea.
J'adorais y venir à partir d'août, j'étais sûr d'y trouver de quoi m'émerveiller et d'assouvir ma passion pour les champignons. Dès l'automne, les sous-bois rutilaient de couleurs avec les chênes d'Amérique, les hêtres, les sorbiers, pins sylvestres et autres viornes. Une partie thermophile, avec Pinus sylvestris et Juniperus communis, recelaient par exemple Tricholoma batschii. J'y faisais souvent des cueillettes intéressantes de russules pas tout à fait comme les autres, notamment dans le groupe Integra.
Aujourd'hui, voilà ce que l'on peut y observer. Des chemins ultra labourés par des monstres de machines jaunes puantes capables, en deux minutes, de vous plucher comme une banane des épicéas de 100 ans. Des ornières de 50 centimètres de profond, des arbres arrachés, des bouteilles de bière un peu partout. Faut bien que ça boive, un bûcheron des temps modernes. C'est pas marrant, de rester perché sur sa machine pendant que le bois craque et pleure sous l'acier!
Des tas de branches en vrac, de jeunes arbres tordus et démantelés, des tonnes de terre retournées... C'est, paraît-il, pour exploiter la forêt et la rendre plus belle. Fichtre!!! Heureusement que les hommes sont là!
Exploiter...! Comprenez par-là extraire violemment et sans aucune retenue tout ce qui peut bien se vendre et rapporter un maximum de pognon. Et il a fallu qu'ils sévissent maintenant, pendant la période des champignons!
Je suis très en colère contre ce genre de «travail» de cochon et cette attitude de vandale. C'est du matraquage, du saccage pur et simple. Il va falloir des années à cette forêt pour reprendre une apparence à peu près normale, avec de la mousse, des sentiers paisibles et des souches «naturelles». A quelques kilomètres de là, en Suisse, on «exploite» aussi la forêt. Mais point d'ornières, point de chemins monstrueusement labourés, point de tas de branches jetées en vrac un peu partout, point de bouteilles de bière... Un autre état d'esprit, certainement! Ici, ce sont manifestement des primates à front bas qui ont œuvré...
Voici le résultat. Du bon bois d'épicéa qui va faire rentrer un tas de fric. La forêt est foutue, mais il paraît que ça va la rendre plus belle.
Plus belle, avec des ornières boueuses de 50 cm sur des centaines de mètres? Plus belle, avec des dizaines de troncs cognés et écorchés à hauteur d'un mètre? Plus belle, avec des tonnes de branchages laissés pour compte dans tous les coins? Quelle vengeance les auteurs de ce carnage ont-ils donc bien pensé assouvir? Celle contre les promeneurs, contre les ramasseurs de champignons? Ah, s'il avait fallu le faire à la main, la forêt aurait eu encore de beaux jours devant elle!
Je ne sais pas encore si je retournerai là-bas. Apparemment, une petite partie a été épargnée. Jusqu'à quand? |