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C'est désormais la grande mode. Le joujou fétiche de notre société, le téléphone portable, est très vite devenu un objet culte, sans lequel évidemment personne ne peut plus aller au restaurant, ou partir en vacances, ou juste sortir boire un verre, se balader ou même aller pisser. Il a fallu supporter stoïquement, partout, les appels plus ou moins discrets des maniaques de l'objet. Sortir sans slip ou sans culotte n'est jamais bien grave, mais sans son portable, là, alors, vous n'y pensez pas...
Bref, on a fini par s'y habituer, plus ou moins... puisque désormais, y compris les gamins de même pas 6 ans, tout le monde en a un! C'est le progrès qui veut ça: dès qu'on invente un nouvel objet, on invente les emmerdements qui vont avec. Au début, on ne pouvait à peu près QUE téléphoner, avec ces appareils. C'est bien tout ce qu'on leur demandait, d'ailleurs... Mais depuis quelques années, ils sont devenus des bijoux de technologie capables de tracer votre route avec la fonction GPS, d'envoyer des messages à tout le monde même au milieu du désert du Kalahari, de connaître l'altitude à laquelle on est, de savoir en temps réel s'il y a une pizzeria dans le patelin dans lequel on vient de se perdre en voiture, etc.
Et puis... Aaaahhhh, et puis... LA PHOTO et LA VIDÉO!
Là, on touche au sublime, au merveilleux! L'appareil est devenu encore bien plus précieux! L'oublier en partant est absolument impensable! Rendez-vous compte: je peux prendre des photos PARTOUT, et montrer fièrement au monde entier, via les réseaux sociaux, que j'existe bien puisque je photographie, moâ!!! «Alors vous voyez, là c'est moi au sommet d'une falaise au Kazakhstan! Et là, c'est moâ encore en vacances dans la Bande de Gaza! Et puis ici, je suis au concert de Trucmuche, woah c'était trop top...! Là, c'est ma sœur juste après son fibrome, et à côté, c'est mon ex avec sa vieille Coccinelle...!»
Pffff... Bon, OK, il y en a qui sont plus raisonnables et qui se servent de la fonction photo de leur smartphone avec un peu plus de discernement. Attention, je ne critique pas le côté pratique de la chose, il m'arrive d'utiliser le mien dans un magasin, par exemple, pour photographier un objet et en discuter avec ma moitié avant d'acheter. Il peut s'avérer fort utile aussi en cas d'accident sur la route, pour bien immortaliser la position des véhicules et ainsi éviter les soucis avec l'assurance... Les occasions de prendre une photo utile ne manquent pas.
Ce qui me hérisse le plus, c'est en fait que désormais, CHACUN se croit devenu photographe. Ce n'est pas la qualité des images qui est en cause (bien que...), c'est plutôt la façon de faire des «artistes». C'est tellement amusant que ç'en est parfois affligeant. Les contre-jours, les arrière-plans à base de poteaux ou de poubelles, les éclairages merdiques ou encore les prises de vues de nuit ne gênent absolument personne. Il leur suffit, bien sûr, de brandir l'appareil au bout du bras et clac! c'est dans la boîte. Bonne ou pas, l'image sera gardée et partagée précieusement avec les admirateurs du monde entier. Fichtre...
Et encore, on peut penser que chacun a bien le droit de s'amuser, n'est-ce pas? Mais là où ça ne va plus, c'est quand, par exemple, il y a une manifestation comme les Masques Vénitiens d'Annecy. Je connais bien le problème et mon ami Christian encore plus, lui qui est photographe accrédité... Plus moyen d'approcher les Masques et de réaliser de bonnes photos, avec un Reflex comme il se doit. La bousculade est telle que les injures finissent par voler bas, tellement les gens sont hargneux. «J'ai bien le droit!» «Et alors? Tout le monde est libre, non?» «Vous êtes qui, vous, avec votre appareil? Vous pensez être meilleur que moi?» Je ne parle même pas des nombreux coups de coude dans les objectifs, sans aucune excuse évidemment...
Ça en devient si pénible que désormais, il faudra se réserver, avec les Masques, des endroits privilégiés loin des Bidochons si on veut obtenir de bonnes photos qui serviront aux affiches, prospectus et promotions diverses destinées aux expositions ou à l'Office du Tourisme. Les Bidochons n'en sont pas conscients, de ça...
Bref, dans ce monde où désormais chacun se prend sans aucune vergogne pour un photographe, un écrivain ou un acteur, le savoir-vivre vient d'en prendre encore un sérieux coup... |